- J'adore les cours de psycho... - C'est vrai? - Non.

Psychologie, ou l'art de se torturer l'esprit pour rien. Et le thème de ce matin, je le hais encore plus: l'Oedipe. Ou le fait d'aimer son parent de sexe opposé. C'est déjà suffisamment difficile de parler de ma famille à mes amis alors si en plus je dois en faire part à toute la classe... Je soupire :

-J'adore les cours de psycho...

Gregory me scrute avec intérêt:

-C'est vrai?
-Non.

Il sourit : lui aussi a une vie de famille horriblement compliquée et lui aussi déteste qu'on l'analyse en pleine classe, devant des gens pas forcément bien intentionnés.

-On s'échappe par la fenêtre?
-Si seulement...

- Vous dites que des conneries, la psycho, c'est le pied, c'est extra, c'est mon cours préféré à moi.

Je regarde Alexis et lui demande.

- Tu sais si Gael a pris psycho cette année ?

Toute l'année dernière je l'ai poussé à prendre cette matière et il m'avait dit, on verra bien, mais j'ai bien l'impression que pour lui c'était déjà tout vu.

Je souris à Marshall. Psycho, c'est la matière que je redoute depuis l'année dernière. C'est déjà dur dans ma tête, alors si en plus tout le monde en profite... Mais je comprends pourquoi il aime. Avant, c'était ma matière préférée. Mais là, je n'ai nullement envie de remuer le champ de ruine qui me sert de vie. Je veux juste pouvoir oublier un peu ma vie au lycée, au milieu de gens qui ne couchent pas avec des hommes de 15 ans leur cadet...

-Je crois qu'il t'a dit peut-être uniquement pour que tu lui foutes la paix. En fait, je ne crois pas, j'affirme. Tu l'as saoulé et il t'a dit ce que tu voulais entendre, pour avoir la paix. Typique de Gael. Mais bon, en plus, il serait trop zen pour la prof, elle aurait rien à psychanalyser, ce serait pas drôle...

Je remarque soudain une certaine agitation dans le fond de la classe et qui remonte vers les premiers rangs. Une fille inconnue au bataillon vient de s'asseoir et elle provoque l'agitation de toute la gente masculine du cours de psycho. Instincts plus que basiques que notre chère prof définirait comme "besoins naturels de l'être humain". Je donne un coup de coude à Marshall:

-Elle est nouvelle tu crois?

- Tu l'as déjà vu ici toi ? Non, alors ca veut dire qu'elle est nouvelle, on connait tout le monde ou presque ici.

Je me retourne rapidement vers Alexis et rajoute.

- Moi j'adore notre prof. Elle est marrante et pas moche, c'est génial.

Je fais un clin d'oeil à mon amie, elle me comprend j'en suis sur.

- Hey, attends deux secondes.

Je me retourne vers la nouvelle venue, une belle brune et dis.

- Oh, la nouvelle, viens par là.

Elle va venir, j'en suis presque sur. Et puis, c'est mieux pour elle si elle veut être bien vu par tout le monde. Elle est vraiment pas mal je dois, dire, presque parfaite même.

Je lève la tête en entendant "oh, la nouvelle, viens par ici". Je ne sais pas si je dois le prendre bien ou mal. Ca fait un peu "viens là mon chien". Mais bon, je ne vais pas commencer à trouver des intentions à tout le monde, on verra bien. Je me lève et me rapproche du petit groupe qui vient de me héler:

-Moi, c'est Emma. A qui ai-je l'honneur?

Un brin d'ironie perce dans mavoix: on ne me hèle pas comme ça, et c'est plus fort que moi, il faut que je le montre, d'une façon ou d'une autre.

Je comprends sa réaction : c'est vrai, on n'alpague pas les gens comme ça. J'arrondis les angles:

-Moi c'est Alexis. Ne te formalise pas pour Marshall, il est toujours comme ça. Tu aimes la psycho?

Grande question, existencielle pour moi, en ce moment.

L'ironie dans sa voix ne m'ébranle pas, je ne suis pas du genre à me démonter pour si peu.

- L'ironie me laisse froid, car ici, c'est moi qui en suis le Roi.

Je fait un clin d'oeil à Emma, mais je pense sincèrement ce que je lui ai dit, l'un n'empêche pas l'autre.

- Enchanté Emma, comme l'a dit Alexis, moi c'est Marshall. Allez, mets toi avec nous pour le cours, tu verras, c'est chouette la psycho avec elle.

Je marque une pause avant d'ajouter :

- Et avec moi, c'est encore mieux.

Je souris : c'est de bonne guerre. Je m'assieds donc à côté du petit groupe et attends le début du cours qu'on me promet excellent. J'aime bien la psycho, en général, mais ça dépend vraiment du prof, s'il est bien, c'est génial, si c'est un illuminé du bulbe, c'est carrément soporifique. Je me souviens de mon prof de l'année dernière, c'était un malade, il avait lui même largement sa place en hôpital psychiatrique. Il sursautait au moindre bruit et il était complétement parano.

-Si tu le dis... Ca ne pourra jamais être pire que mes cours de l'année dernière de toute façon... Et puis je ne suis pas contre une heure de remise en question personnelle.

Je me retourne vers mon voisin de derrière:

-Excuse-moi, comment tu t'appelles?

Il déglutit, étonné que je lui adresse la parole. C'est une grande perche décharnée à la face ravagée par l'acnée. Il finit par répondre, la bouche sèche:

-Edward...
-Alors Edward, vire tes pieds de ma veste, tu marches dessus!

Et lorsqu'il obtempère, je me retourne dans l'autre sens, vers le tableau. Un mot se détache : Oedipe. Hum, les relations familiales, on pourrait les psychanalyser encore pendant des millénaires sans pour autant en avoir fait le tour.

J'éclate de rire: et dire que ce pauvre Ed croyait avoir une touche. Dans ses rêves, et encore. Elle a de la répartie, cette fille, je l'aime bien franchement. Et j'avoue qu'elle dégage une espèce de magnétisme intrigant. Elle est jolie, certes, mais il y a bien plus que ça. Je ne sais pas, sa façon de se tenir, de parler, tout chez elle est à la fois énergique et élégant.

-Moi, je ne suis pas fan de psycho, surtout en ce moment. J'aimerais bien qu'on laisse ma tête en friche. Je n'ai aucune intention de remuer l'herbe pourrie...

- Mais allez, c'est marrant la psycho, et puis tu es pas obligé de raconter ta vie, tu peux inventer ce que tu dis si ca reste un peu crédible. Ou raconter celle de ta mère comme ca tu comprendras son comportement.

Je jette un coup d'oeil vers le tableau et je dis :

- Cool, justement, on va parler de la famille aujourd'hui, mais moi j'ai pas grand chose à dire sur ce syndrome.

C'est vrai, ce n'est pas toujours facile d'ailleurs de n'avoir plus personne à part sa petite soeur.

- Et toi Emma, t'as une famille de barge toi aussi ?

Je me retourne vers Ed'

- Hey, ferme la bouche un peu, tu viens de te faire remballer mec.

Je soupire:

-Tu sais Marshall, si je raconte la vie de ma mère à la place de la mienne, je vais être obligée de dire que je couche avec un mec qui a 15 ans de moins que moi. Si je dis ça, elle va m'envoyer l'asile vite fait, ou les flics, au choix...

Je reprends:

-Mais hauts les coeurs, je vais inventer, j'ai l'habitude maintenant.

Lorsque je dis ça, le visage de Mattew me saute aux yeux. Il m'énerve, mais en même temps, je ne sais pas, j'ai un drôle de sentiment. Je secoue la tête pour chasser cette idée. Pense à Luis, pense à Luis... Et c'est la tête de mon cheval qui m'occupe alors l'esprit. Bien moins risqué.

-Ta mère a un mec de 15 ans de moins qu'elle? Ca veut dire qu'il a presque ton âge, non?

Je commence à comprendre pourquoi elle n'aime pas la psycho : drôle de situation familiale...

-Ma famille se résume à ma mère, tu sais. Et ça va, la plupart du temps, elle est saine d'esprit. C'est aussi pour ça que j'aime bien la psycho, je n'ai rien à craindre, il n'y a rien à trouver dans ma vie!

-Et toi, Marshall, pour en finir avec nos vies? Ta famille est pas trop cinglée?

- Au moins tu n'auras plus à te farcir Matthew, parce qu'avec lui, c'est aussi l'asile assuré, alors au choix, autant commencé au plus tôt, comme ca plus tôt tu resortira et plus tot tu pourras oublier cette période sombre.

J'écoute Emma parler, c'est sur que pour elle, à part le manque d'un père, sa famille est plutôt pas mal, ca la place donc devant Alexis, et ne parlons pas de moi.
La question que me pose Emma raisonne dans ma tête et quelques secondes doivent s'écouler avant que je ne reprenne mes esprits, même si j'ai bien accepté la situation, j'ai du mal à en parler. Mais je reprends mes esprits rapidement et répond le plus naturellement du monde :

- Ma famille, c'est Alexis, Gael, Cassie et Scarlett bien sur. Scarlett c'est ma soeur, c'est la seule vraie famille que j'ai. Mais j'ai mes amis, et ca c'est forcément ma famille.

Je fais un clin d'oeil complice à Alexis, elle, je suis sur qu'elle a remarqué mon bug intérieur, mais je tiens à la rassurer, ce n'est rien de toutes facons, c'est la vie comme on dit.

Emma ne peut pas le savoir, mais sa question, bien que particulièrement pertinente, est très dérangeante pour Marshall. Sa famille, c'est encore pire que la mienne. Dans son cas, je ne suis pas sûre que l'on puisse encore parler de famille. C'est plutôt un géniteur et une génitrice. Je souris lorsque je l'entends dire que ses amis sont sa famille. C'est vrai, et heureusement. Et puis ma mère adore Marshall. C'est vraiment comme un fils pour elle. Et Mattew n'a qu'à se la fermer, de toutes façons. J'enchaîne sur un autre sujet, pour dissiper le malaise:

- L'embêtant, avec Mattew, c'est que rien n'est embêtant. Il est discret, pas autoritaire, propre, gentil et il fait bien la cuisine. Ah oui, et il ne se décourage jamais, même si je suis ignoble avec lui. En fait, je comprends ma mère, c'est le prince charmant ce mec.

Je soupire:

-Mais il a 22 ans, et franchement, je n'arrive pas à l'envisager en tant que beau père. C'est au dessus de mes forces. Mais c'est vrai qu'indéniablement, il est adorable...

Ma question a eu l'air de déranger, je n'insiste pas. Je suis bien consciente que j'ai une vie plutôt dorée. Et fouiller dans les vies des autres, quand elles leur posent problème et quand on vient d'arriver, ce n'est pas une bonne idée.

-Je suis certaine que ton beau père ne veut que s'entendre bien avec toi. Si j'étais toi, je lui donnerais une chance, parce que ça te bouffe la vie, apparemment, de ne pas t'entendre avec lui. Il ne veut pas remplacer ton père je pense, il a 22 ans, il est super jeune. Il veut juste être ami avec toi, alors laisse le faire, tu verras bien. Et si ce n'est pas convaincant, il sera toujours temps de reprendre la guerre.

J'observe les réactions d'Alexis : je ne la connais pas, je ne voudrais pas la froisser, ce n'est pas le but. Mais je pense que mon conseil peut la soulager.

- Sinon, tu peux te le taper, ce serait une sorte de couple explosif que tout sépare mais qui s'attire quoiqu'il arrive, un peu comme des aimants.
Moi, je trouverais ca marrant en tous cas, tu devrais y penser, en plus, il doit quand même pas être mauvais au pieux.

Bref, faut que j'arrête, mais Alexis me connait, elle sait que je suis comme ca et que de toutes facons, je ne changerai pas, non pas que je ne le puisse pas mais bel et bien parce que je ne le veux pas.
Ah, ma pseudo famille, bon allez,c'est parti.

- Et puis merde, j'm'en branle. Mon père est parti quand j'avais 3 ans, on en a jamais réentendu parler, ma mère et morte il n'y a pas trop longtemps et maintenant, je vis seul avec ma soeur dans un appart' que nous paye la mère d'Alexis, super non ?

Je me redressa comme piquée par un aiguillon:

-Moi et... Lui? Tu rigoles ou quoi? Sois sérieux deux minutes ou bien cours de psycho ou pas je me barre de cette salle de cours!

La prof s penche sur mon bureau, merde, j'l'avais pas vue...

-C'est bien d'extérioriser sa colère, ce n'est pas bon de la garder en soi. Tu as quelque chose à nous dire?

Je secoue la tête:

-Non, ça va.
-Très bien alors, retournons à notre Oedipe.

Je donne un coup de pied à Marshall sous la table.

Ma vie est pas si mal, finalement... Alexis et son beau père, Marshall et sa famille, ça a l'air d'être bien compliqué... Le cours de psycho commence et je n'écoute rien, j'essaye de comprendre ce qu'il se passe dans la salle de classe. Quitte à mettre encore un peu plus les pieds dans le plat, je demande:

-Et tu ne vois plus du tout ta famille? Qu'est-ce qu'il s'est passé?

J'espère ne pas le froisser, ce n'est vraiment pas le but recherché...

- Moi, j'ai un gros problème, je veux me tapper ma belle mère.

Toute la classe ri, c'est bien pour ca que je n'ai pas dit qu'Alexis avait un gros problème, ceux qui rient de moi, je m'en moque, Alexis est plus sensible à ca que moi, du moins je le crois, donc je prends tout sur moi.

- C'est grave vous croyez ?

Elle me regarde interdite.

- Nous sommes en plein dans le syndrome d'Oedipe, mais en détourné avec la société actuelle, du moins c'est mon point de vue. Je pense que de plus en plus de familles sont séparées par des divorces, et forcément quand on ne voit plus que son père, avec une fille plus jeune que lui de beaucoup, qui pourrait être ma meuf quoi, et bah je pense que c'est normal de vouloir évincé son père et se faire sa belle mère, c'est le syndrome d'Oedipe mis à jour avec le société moderne, vous ne trouvez pas ?

Michelle, notre prof, est pendue à chacun de mes mots, comme si elle buvait chacune de mes paroles. Elle finit par dire qu'elle est d'accord avec moi même si la véritable nature du syndrome étudié n'a vraiment d'effet qu'avec sa propre mère mais que dans le cas où on ne connait pas ou très peu sa mère, en effet, on peut voir les choses comme moi. Je rajoute.

- Vous pensez que la première impression qui dans mon cas a été le rejet de ma belle mère est un épisode normal ? Je sais que je sors un peu du champ du cours, mais vu que j'ai commencé à tout déballer, pourquoi ne pas aller au bout ? Donc vous pensez que c'est normal ?

Elle le pense en effet car il est toujours difficile de voir devenir quelqu'un de son age, sa belle mère, et que forcément on la rejette en bloc.

- Et la contre attaque par un amour dépassant toutes les limites de l'entendements, c'est normal aussi alors, on passe d'une extrême à l'autre en fait, à force de trop haîr, on aime, ou est-ce à force de trop se forcer à haïr. Moi je suis convaincu qu'il s'agit de la dernière solution.

La prof est véritablement ravi de mon exposé, et elle confirme systématiquement mes dires. Toute la classe sait très bien que j'ai tout inventé, et ca les a tous faire rire, beaucoup. Cependant, j'ai peur de me retourner vers Alexis, qui peut l'avoir mal pris. On verra bien si je me prends une baffe à la fin du cours mais si c'est ca, je l'aurai peut être un peu mérité.
Je me tourne vers Emma de l'autre côté donc.

- Ma famille n'existe pas, comme je l'ai dit, je n'ai plus de mère, mon père doit ignorer mon existence ou s'il ne l'ignore pas ne doit plus s'en souvenir, je n'ai ni oncle ni tante ni parrain mais juste un mécène, en l'occurrence la mère d'Alex. Et j'ai ma soeur, Scarlett qui représente tout pour moi, c'est comme si j'avais une fille à protéger, c'est elle qui représente ma vie, je ferai tout pour elle.

La cloche sonne, et c'est plus qu'une délivrance. Je ramasse rapidement mes affaires et cours presque dans le couloir. Je sais que je ne devrais pas en vouloir à Marshall, il voulait m'aider, mais franchement, non, ça ne se fait pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui en veux. C'est vrai, après tout, dans sa bouche, tout à l'air si simple, alors qu'en réalité...

Je vois Alexis sortir à toute vitesse, j'aurais préféré la baffe je crois, je m'empresse de ranger mes affaires à mon tour tout en disant à la prof.

- Michelle, j'aurais volontiers continuer cette discussion mais il faut absolument que je vois Alexis, c'est super important. A la prochaine.

Le 19 à mon exam est d'ores et déjà assuré, maintenant, il faut que je continue à assurer et comme j'aime la psycho, ca ne devrait pas poser de problèmes.

- Euh, à plus Emma, j'espère que ce cours de psycho t'a plu ?

Sans attendre de réponse je pars rejoindre Alexis qui s'est arrêtée à côté de la porte, collée au mur.

- Quoi ? Qu'est ce que j'ai fait ? J'ai juste animé un peu le cours, et puis c'est rien, j'ai pas parlé de toi, personne n'en saura rien.

Je ne sais pas si tout ca va arranger mon cas, mais de toutes facons, c'est la vérité, pour une fois que je ne l'édulcore pas, on ne va quand même pas me le reprocher.

Je fais un signe de main à Marshall et pars à la découverte du lycée, mais où est la cantine?...

-J'avais pas besoin d'une psychanalyse gratuite, merci bien. En plus, c'est quoi cette histoire de te taper ta belle-mère? Moi c'est pas mon problème, je veux juste virer le gigolo qui occupe la chambre de ma mère!

Je suis très en colère, et pourtant, je chuchote. Mais au fur et à mesure que je parle, je sens ma colère se dissoudre. Ce n'est pas la faute de Marshall, après tout, si ma vie est un désâstre en ce moment...

-Allez, excuse-moi, va, je sais bien que tu n'as rien fait de mal. C'est moi qui déconne. Viens, on va manger. J'ai faim.

- Ouais, on va manger, mais bon, tu sais bien que ca va rester comme avant la cantine, et que si tu as faim, c'est jusqu'à ce soir, on a pas le choix.

Je marque un temps d'arrêt et explose de rire.

- En plus tu sais très bien que je n'ai pas de belle mère. Je n'ai même pas de famille, à part ma soeur bien sur. Et puis, je viens de gagner mon 19 à mon prochain devoir, on peut pas négliger ca.

Je souris:

-Oui, et le 19 en psycho, c'est pas négligeable. Allez, en route pour la cantine!