Home, Sweet Home...

Je rentre d'un jogging avec Billy. C'est libérateur, un bon jogging, ça chasse les idées noires. Pas que j'ai les idées noires en ce moment, mais il faut avouer que la situation est particulière. Ma cousine qui arrive, ça chamboule tout, même si elle a l'air sympa. Mon père dit qu'une fille de plus à la maison, de toutes façons, ça ne change pas grand chose, mais si quand même... Et le truc, c'est que je ne la connais que très peu, en fait. Billy me regarde, avec ses yeux de berger allemand qui comprend tout. Il penche la tête et me donne un grand coup de langue sur la main. Faut que j'aille prendre une douche.
Je ressors de la salle de bain, dix minutes plus tard, les cheveux mouillés. Je m'installe sur le canapé et Billy vient mendier des caresses. Au moment où il se met sur le dos pour avoir encore plus de gratouillis, mon téléphone sonne : Yoann. Tant pis pour lui, je ne répondrai pas. White flag retentit dans le salon, puis plus rien, juste les jappements de mon Billy. La sonnerie reprend. Toujours lui. Il peut pas être moins collant, non? On s'est vus hier, au match, il veut quand même pas qu'on passe nos journées ensemble!

*J'arrive au moment où le téléphone sonne et je suis soulagée de voir qu'une de mes cousines est là. Le téléphone est pour moi une torture ici parce que je ne sais jamais si je dois décrocher ou pas. Si je le fais et qu'il ne fallait pas, j'aurai l'air de prendre mes aises un peu rapidement, et si je ne le fais pas et qu'il le faut, ça risque d'énerver tout le monde. Le dilemne est complexe... Je me faufile donc, espérant monter dans "ma chambre" ni vue ni connue.*

En racrochant, j'ai juste le temps de voir passer Gabrielle. Je l'appelle, au cas où elle aurait envie de parler, on ne sait jamais!

-Eh Gabrielle? Ca te dit, un thé?

Après tout, je ne connais pas bien ma cousine, et c'est dommage.

- Un thé? Ce n'est pas de refus. Enfin... Je suis désolée, pas du thé, mais si tu as du café...

*J'ai honte de ma réponse, un peu cruche... Mais je ne sais pas trop comment ne pas la froisser tout en ne buvant pas un thé. Les anglais aiment le thé, les indiens aussi, mais moi je n'aime que le café. J'aurais aimé trouver une façon plus classe de le dire, pour ne pas la vexer, mais les mots ne sont pas sortis dans un ordre pré-pensé malheureusement...*

- Remarque si tu n'en as pas, ce n'est pas grave.

*Je m'enfonce là. Tellement que je décide d'attendre sa réponse, au moins ça me donnera une idée de comment continuer...*

Je souris:

-Parfait, du café alors. Tu sais, les Anglais aiment le thé, mais ils comprennent aussi ceux qui préfèrent le café!

Je lui fais un clin d'oeil, en espérant que ça la détende. En même temps, je ne me serais pas sentie très détendue non plus si j'avais du vivre dans sa famille, dans un environnement que je ne connais pas du tout et dont il faut que j'apprenne tous les codes...

-Tu te sens bien ici? Je sais, c'est un peu rapide de demander ça, si peu de temps après ton arrivée, mais s'il y a quoi que ce soit que je faire puisse faire pour que tu te sentes chez toi...

*Je souris avec un mélange de tristesse et de reconnaissance.*

- Tu sais, j'ai un peu de mal avec tout ce qu'implique un nouvel environnement. J'ai l'impression que je vais me réveiller d'un instant à l'autre.

*Je n'ose pas lui dire que me retrouver dans une famille "modèle" du jour au lendemain me panique. Je ne connais rien à cette vie là.*

- Tout est très différent de là d'où je viens. Le mode de vie, le temps, les couleurs,... Je pense que le temps d'adaptation sera assez long. Mais j'espère que ça ne vous prendra pas trop la tête. Je n'ai pas l'intention d'être un poids, pour personne.

*Oulà, je vais lui faire peur si je continue comme ça...*

- Mais je veux bien un café!

*Je me demande si elle a toujours envie de discuter autour d'une tasse après une telle entrée en matière... Apprendre à masquer, c'est quelque chose que je devrais faire!*

Notre cuisine à l'américaine est bien pratique, je fais le café de Gabrielle en même temps que je lui réponds:

-J'imagine que ça doit être très dépaysant, oui. En plus, c'est vrai qu'on est nombreux à la maison, ça doit bien te changer. Tu vivais où, en dernier?

Je lui tends son café et prends ma tasse de thé avant de retourner m'asseoir en face d'elle:

-Je crois que ce n'est qu'une question de temps, tu verras, dans deux mois maximum, tu te sentiras comme un poisson dans l'eau. Il y a une fête ce soir, si tu veux venir, tu es la bienvenue. Peut-être que si tu rencontres du monde, tu te sentiras plus à l'aise. Mais surtout, il ne faut pas que tu te sentes gênée ici. On est tous ravis de t'avoir à la maison. C'est aussi chez toi, maintenant. Et comme dirait mon père: une fille de plus ou de moins!

J'enchaine:

-C'était comment, la vie, chez toi? Très différent d'ici, je me trompe?

- Merci, *dis-je en prenant le café que ma cousine me tend*

*Je trempe mes lèvres dedans, il est parfaitement comme je les aime. Légèrement sucré, profond et chaud. J'ai gardé ce goût des boissons brûlantes que j'ai acquis quand je vivais parmi les massaï. Je suis incapable de boire tiède, ça me dégoûte.*

- En fait, en dernier je vivais en Inde. C'est sur que le changement est radical, j'ai eu du mal avec les couleurs et les odeurs surtout. Les sons aussi remarque, toutes les perceptions changent! Tout parait moins vrai ici. Enfin, pas moins vrai, mais comme c'est la première fois que je mets les pieds dans une ville de ce type, je me sens un peu dans un décors de film si tu vois ce que je veux dire! La vie avec ma famille, c'était le jour et la nuit avec la votre. Ni mieux ni pire, juste à l'opposé. Je ne suis jamais vraiment allée à l'école, autrement que dans des écoles faites en tentes, ou dehors. Ma mère s'occupait de mon éducation, de tout ce que ne m'apportaient pas les endroits où nous évoluions. Ce qui explique que je porte des chaussures naturellement! *dis-je en riant* Ce qui explique aussi que je ne sois pas complètement dépaysée. Mes parents veillaient à ce que je connaisse autre chose, que je reste proche de mes racines maternelles. C'est clair que ce n'est pas évident et que je leur en veux de m'avoir larguée là. Mais pourtant, je suis contente d'avoir atterri ici. Vous êtes tous très agréables. Je n'aurais pas pu mieux tomber. Je pense que ma mère le savait. N'empêche que je lui en veux... Vous vous entendez tous bien, dans ta famille?

Je hoche la tête, je comprends mieux pourquoi Gabrielle a du mal à s'adapter:

-Tu vois, ta vie à toi, ça, ça me ferait l'effet d'un film. Alors j'imagine bien qu'ici ça doit te paraitre bizarre. L'Inde alors... Oui, c'est loin d'ici, à tous points de vue! Ici, la vie est moins... Colorée, je suis d'accord. C'est plus gris. Plus uniformisé aussi, j'imagine.

Si on s'entend bien...

-Oui, en général on s'entend bien. Mais parfois, quatre filles à la maison, ça fait des étincelles. Heureusement qu'on a deux salles de bain! Sinon ce serait la guerre. Je rigole, c'est plutôt paisible, à la maison. Avec la famille élargie par contre, c'est pas le bonheur. Ma tante du côté de mon père est une vraie furie. Quand elle débarque ici avec ses deux horribles enfants et son crétin de mari, tu peux être sûre que s'en est fini de la sérénité habituelle. C'est toujours très joyeux, à noel... Je te laisse imaginer!

- Oui, j'imagine! La famille, chez nous, c'était plutôt restreint comme tu t'en doutes! En fait on se retrouvait entre "missionnaires", c'était eux la famille au sens large. D'un pays ou d'un continent à l'autre, on tombait toujours sur le même groupe de gens. Ce qui est assez inimaginable au début, mais à force, on ne s'en étonne plus. Au fait, rien à voir, mais l'autre jour j'ai rencontré Alexis et Todd, ils m'ont un peu parlé de ton lycée... Ils m'ont parlé de groupes, de cases dans lesquelles il faut rentrer,... Tu es dans quel groupe toi?

*Je voudrais qu'elle m'explique un peu comment ça fonctionne, et surtout, si je devrais rester dans un petit cerle ce gens défini.*

-J'avais pas l'impression d'être dans une case, mais j'imagine que je suis dans celle des gens populaires... Je sors avec un sportif, et je suis pom pom girl de l'équipe de foot... Y a pas de miracle... Mais franchement, du moment que tu ne comportes pas en zombie, tu n'as rien à craindre. Je ne connais vraiment qu'une personne impopulaire, et elle l'est pour de bonnes raisons. Elle ne sort jamais de chez elle, elle ne parle pas et elle fait des trucs vraiment trop bizarres... Elle parle aux rosiers, va savoir pourquoi... Mais juste aux rosiers. Bref, elle est associale quoi! Tu connais déjà les bonnes personnes de toutes façons! Si tu aimes bien Todd et Marshall, tu n'as plus de questions à te poser!

Je souris:

-Et alors, parmi ces missionnaires, tu as un petit ami?

Je sais, c'est futile comme uestion, mais j'adore ce genre d'histoires. J'y peux rien si je suis née dans une société qui vit de drames et d'histoires à l'eau de rose!

_ Oui je me doute bien que ce n'est pas vraiment comme dans les séries américaines avec des cases fermées... Comment elle s'appelle, cette fille qui parle aux rosiers? Elle a notre âge?

*Ce genre de comportement sied en général mieux aux personnes âgées un peu liquides...*

- Je ne connais pas encore Marshall je crois... Il habite la rue?

*J'ai conscience de poser beaucoup de questions, mais je sais que si je veux m'intégrer il faut en passer par là.*

- Tu sors avec un sportif alors... Il fait du foot? Il s'appelle comment?

*Les histoires de petits amis, je m'en serais bien passée, mais puisqu'on en est là, autant mettre les pieds dans le plat dès le début, les choses seront plus simples ensuite.*

- J'en avais un. Mais tu sais ce que c'est, loin des yeux, loin du coeur. Je ne pense sincèrement pas que notre relation tiendra, il est en Inde et moi ici, c'est impossible... Pourtant ce n'est pas l'envie qui manque que ça marche. Mais je ne me fais pas d'illusions, je sais très bien comment ça se passe...

*Je décide de prendre les devants, pour qu'elle ne se sente pas gênée*

- Il s'appelle Paolo. Il est italien. Mais s'il te plait, évite d'en parler, mes parents n'étaient pas au courant... Disons qu'il est plus âgé que moi. Beaucoup plus âgé... Et notre histoire est donc compliquée comme tu te doutes. D'où le fait que bon, je pense qu'on ne se reverra pas...

*Même si j'espère le contraire de tout mon coeur.*

hj: continuons les discussions mecs, ça fera du lien!^^

Paolo:

-Je ne sais pas vraiment comment elle s'appelle... Mais oui, elle a notre âge. Elle est avec moi en littérature. Une vraie plaie. Un jour, les mecs de la classe lui ont fait croire que l'un d'eux était complètement raide dingue d'elle. Elle lui a écrit une lettre enflammée, et il a fait semblant d'être très touché. Il lui a donné rendez-vous le soir dans le parc et quand elle est arrivée, il embrassait une autre fille. Il s'est foutu d'elle et ils lui ont envoyé, tous les deux, des ballons plein de peinture. Pas très sympa, mais c'est pour te donner une idée de ce qu'elle inspire aux autres.

J'enchaine sur Marshall:

-Non, il habite dans les immeubles, deux rues plus loin. Il est très sympa, il gagne à être connu, vraiment! Mon copain s'appelle Yoann, et oui, il fait du foot. Mais je ne sais pas si on va rester ensemble encore très longtemps. Il commence à m'agacer, et c'est rarement bon signe.

Je l'écoute me raconter son histoire avec Paolo, et je réponds:

-Je serai muette comme une tombe, promis. Mais raconte, vous vous êtes rencontrés comment? Et comment vous avez fait pour vous voir sans que tes parents s'en rendent compte? Il a quel âge, au fait?

- Il a 30 ans... C'est un aide humanitaire qu'on a retrouvé sur pas mal de missions, mais nous ne nous sommes mis ensemble qu'à notre arrivée en Inde. Je le connais depuis quelques années maintenant... Mes parents travaillent beaucoup, ils sont chercheurs, alors c'était assez facile de faire en sorte qu'ils ne se rendent compte de rien. Je n'étais jamais vraiment avec eux, toujours à faire ma vie, à droite à gauche, plus souvent avec les aides humanitaires qu'avec les chercheurs d'ailleurs. Je n'étais pas vraiment intéressée par toutes ces analyses, conférences,... Pas invitée non plus d'ailleurs. C'est pour ça que je suis ici au fait. Parce que cette fois, les familles n'étaient pas tolérées. Dommage collatéral!

*ça fait la fille qui en veut à ses parents, mais je leur en veux. Je leur en veux même à mort d'avoir accepté tout en sachant qu'ils allaient devoir se débarrasser de moi. Il se trouve que, c'est vrai, je suis très bien tombée. Mais ils ne l'emporteront pas au Paradis!*

- Pourquoi il t'agace? Il a fait quelque chose en particulier, ou c'est juste que ça évolue mal entre vous?

*Les histoires de garçons, c'est toujours tellement passionnant!*

-Je comprends que tu leur en veuilles, à tes parents. Après tout, ils auraient pu refuser. Mais ici, tu es comme chez toi, tu sais. Ne te sens pas gênée ni rien, ce serait dommage. Je suis contente que tu sois là. On se voit rarement, alors maintenant, au moins, on peut en profiter.

J'enchaine sur son histoire d'amour:

- La différence d'âge est importante, mais quand on aime, il n'y a pas d'âge. Avec Yoann, c'était simple, enfin je le croyais. Pas d'attachement, juste du fun. Mais il commence à devenir lourd, ou alors c'est moi qui me lasse, je ne sais pas. Mais non, il n'a rien fait de plus que d'habitude, c'est juste que je n'en peux plus. J'en arrive même à ne plus décrocher quand il appelle. C'est assez révélateur, je pense. J'attends la fin de la soirée, et je le quitte, c'est décidé. Je ne suis même pas triste, le pire. Et je serai soulagée quand ce sera vraiment terminé. J'ai trop laissé pourir la situation, mais je crois que je n'avais pas le courage de prendre la décision qui s'impose.